Art & Design

ENSA Dijon

19.12.2017

Conférence

Françoise Pétrovitch

//CETTE CONFÉRENCE EST RÉSERVÉE UNIQUEMENT AUX ÉTUDIANT.E.S //

« Sonatines en rouge et rose »

De 14h-15h30 en Amphithéâtre et de 15h30 à 17h à l’atelier Multiples*

 

« Samuel Beckett décrivait la Septième Symphonie de Beethoven comme « une surface sonore dévorée par d’énormes pauses noires, si bien qu’à la fin nous ne percevons plus qu’un sentier de sons suspendu à des hauteurs vertigineuses reliant des abîmes de silence insondables1 ». Pourquoi un tel projet dans le domaine de la musique ne le serait-il pas dans le domaine pictural ? Françoise Pétrovitch, tout au long de ses plus de vingt ans de carrière, pourrait s’être donnée semblable dessein. Et si les ouvertures qu’elle déplie dans son travail ne s’arrêtent pas aux seuls passages de l’intime à l’extime, du dessin à la peinture, de la feuille de papier à l’espace mural, du plan au volume, de la céramique au bronze, le vertige que celui-ci replie au plus profond tient sans nul doute dans cette part d’indicible qu’il recèle et qui résiste à toute tentative d’interprétation.

Longtemps, notre regard a ainsi cheminé solitaire sur les sentiers que son œuvre traçait au fil du temps, sur ces paysages d’enfance qui la bordaient, sur ces impressions qui la débordaient, sur ces sensations qui affleuraient le papier, sur ces émotions qui se noyaient dans l’encre, sur ces sentiments qui s’arrêtaient dans les suspens du trait. Mais pour donner plus de lumière et de densité, d’intensité et de profondeur à ses sujets, il a presque fallu à l’artiste endiguer ce déferlement expressif que les formes, les couleurs, les traits, les gestes, les regards portaient à son acmé. Le passage par la peinture a été cette voie pour y parvenir, pour élaguer encore, pour réduire d’autant mieux, pour distiller jusqu’au cœur ou à l’âme des choses et des êtres. Les tableaux se sont intitulés Nocturne, les fonds se sont drapés du sombre de l’ombre ou de la nuit, les fleurs ont flétri sur leur tige, les visages se sont tus, et le rouge a gagné les mains hors de cette protection du gant que d’aucuns ont déposé à terre.

Aujourd’hui, Françoise Pétrovitch semble s’être pacifiée avec son œuvre et ces histoires, sa vie d’artiste et sa propre histoire. Sa peinture est dès lors redevenue aussi lumineuse que la clairière au-delà de l’orée de la forêt, aussi fraiche que le ruisseau, aussi tendre que le vert des prés, aussi rose que les joues empourprées. Se souvenant presque de l’adage de Maurice Denis – « se rappeler qu’un tableau, avant d’être un cheval de bataille, une femme nue ou une quelconque anecdote, est essentiellement une surface plane recouverte de couleurs en un certain ordre assemblées » – les mélopées et les lamentos qui crevaient des silences déchirants ont fait place à des contrepoints raffinés, des décalages subtils, des superpositions inventives, des glissements continus, des plans de couleurs autonomes et aériens, des gestes rapides et décisifs de l’ordre parfois du staccato, parfois du vibrato. Néanmoins l’allegro ne surgit pas plus là où la douce mélodie de la mélancolie a cédé le pas ; la rêverie s’y fait toujours autant entendre, discrète, légère, plus frissonnante que jamais. Et si les masques sont tombés, les yeux ne demeurent pas moins clos dans l’éternité du tableau. À nous de les déciller de toute la force de notre regard. »

Marc Donnadieu

Conservateur en chef du Musée de l’Élysée à Lausanne. Il a dirigé de 1999 à 2010 le Fonds régional d’art contemporain de Haute-Normandie avant d’entrer au LaM de Villeneuve-d’Asq.

1 Lettre à Axel Kaun du 7 juillet 1937 publiée dans Samuel Beckett, Lettres I 1929-1940, édition de George Craig, Martha Dow Fehsen- feld, DanGunn et Lois More Overbeck. Traduit de l’anglais par André Topia. Gallimard, 2014.

 

Françoise Pétrovitch

Née en 1964 à Chambéry, Françoise Pétrovitch vit à Cachan et enseigne à l’école Estienne à Paris. Attachée au livre et à l’immédiateté du dessin, elle pratique aussi la céramique, la peinture et plus récemment la vidéo. Sur le papier ou sur la toile, adolescents, poupées, animaux à l’identité incertaine fusionnent par capillarité. Des secrets, des inquiétudes germent avec la couleur, la mélancolie se dilue tendrement dans l’aquarelle et l’encre. La féminité prend un tour mythique et l’intimité s’ouvre sur le monde.
En 2014, le musée des beaux-arts de Chambéry lui a consacré une exposition personnelle, et en 2015, le LAAC de Dunkerque l’a invitée à exposer en regard des collections du musée et du Frac Nord-Pas-de-Calais. Ses œuvres figurent parmi les collections du MNAM-Centre Pompidou, du MAC/VAL, du musée d’art moderne de Saint-Étienne, du musée Leepa-Rattner à Tarpon Springs (USA), des Frac Haute-Normandie et Alsace. Elle a représenté la France dans l’exposition Organic Matters Women to watch au National Museum of Women in the Arts de Washington (2015)

En 2016, une vaste rétrospective lui est consacrée au Frac PACA, au Château de Tarascon et à Arles. En 2018, deux expositions personnelles lui seront consacrées à Keramis et au Centre de la gravure à La Louvière.

 

Conférence proposée par Carlos Castillo, dans le cadre de l’ARC « Transversalité ou la pratique dessinée », avec tout le soutien de la Galerie Semiose, à Paris.

Conférence obligatoire pour les étudiant.e.s de l’ARC « Transversalité… », ainsi qu’aux étudiant.e.s de l’option Peinture, dessin, Multiples (avec Carlos Castillo 3e Art), et ceux de l’option « dessiner la peinture, peindre le dessin », 2e Art.

*Une séance dans l’atelier Multiples est prévue après la conférence que pour les étudiant.e.s inscrits dans les options ci-dessus.

Ouverte à tous les étudiant.e.s n’ayant pas cours.

 

 

  • GS-2017-FPetrovitch-18W,Françoise Pétrovitch De la série Etendu, 2017 Lavis d'encre sur papier 160 x 240 cm Photo : A. Mole Courtesy Semiose galerie, Paris.